Maman de Christophe
de
Crisnée
a écrit le 19 juin 2023
à
15:11
Bonjour Monsieur Smith,
Je vous envoie ce message, afin que vous puissiez le transmettre à vos collègues... de la part de Christophe et de moi-même...
Merci d'avance,
Patricia Loala
Javier, Christophe, Samuel...
J'espère que vous pardonnerez cette soudaine familiarité, alors que nos chemins se séparent... mais sans se quitter...
C'est sur base de votre prénom que mon fils parle de vous. C'est une de vos méthodes pour tisser rapidement des liens avec les enfants que vous acceptez de prendre en charge, j'imagine.
Il y a un peu plus d'un an maintenant, quelqu'un me parle de Compas Format : une ASBL qui s'occupe de mineurs en difficultés et déscolarisés pour cause de problème familial, de comportement inadéquat, d'abandon, d'incompréhension, de rejet, de problème de santé... Peu à peu, vous leur redonnez confiance en eux et dans l'enseignement, afin qu'ils puissent réintégrer leur école dans les meilleures conditions possibles. Le plus important est qu'ils puissent intégrer d'abord une petite classe, avec un professeur et des élèves qui viennent de différents horizons, avec des problèmes divers et de tout âge. Ensuite, quand les enfants, précédemment en difficulté, trouvent de nouvelles marques, retrouvent le goût d'apprendre et établissent des liens avec les éducateurs et les autres élèves, vous les faites réintégrer progressivement leur école, tout en douceur et en étroite collaboration avec le corps enseignant.
Je trouve ce concept très intéressant. Pourquoi n'en fait-on pas plus la publicité ? Pourquoi les écoles n'en parlent-elles pas en début d'année, en même temps qu'elles expliquent le fonctionnement des centres PMS ? Cela peut certainement aider de nombreux jeunes en perdition et dont les parents ne savent plus comment les aider, faute de temps ou d'énergie principalement ?...
Mais comme de nombreux parents avant et après moi, je ne me sens pas concernée... ou plutôt mon fils n'a pas besoin de ce service. Malgré un passé difficile, nous avons su garder un lien très fort. Il est doué dans les études et se montre curieux de tout. Je dois parfois faire appel à Google pour satisfaire cette curiosité insatiable, mais qui me ravit et me pousse moi aussi à en savoir plus...
En juin 2022, Christophe réussit son CEB sans le moindre problème et démarre un nouveau chapitre de sa vie d'étudiant en 1ère secondaire, fin août de cette même année... Et puis, un soir de septembre, alors qu'il participe au cours de Taekwondo , un grain de sable vient gripper cette mécanique bien huilée... Christophe est sensible aux bruits depuis qu'il a 2 ou 3 ans. Rien d'alarmant jusque là : je mets mes verres solaires plus tôt que la plupart des personnes; il est plus sensible aux bruits, lui. Le maître de Taekwondo cherche à motiver ses élèves pour une compétition à venir : rien de tel qu'un bon cri puissant, qui vient du plus profond de soi. D'ordinaire, Christophe bouche ses oreilles à ce moment-là, mais son maître est juste à côté de lui. Il veut bien faire. Comble de malheur, 3 barytons adultes l'entourent : même moi, je me bouche les oreilles quand ils crient ceux-là. Tous en cœur, maître et élèves poussent un cri si fort que Christophe manque de s'évanouir, tellement la douleur dans ses oreilles et sa tête est fulgurante...
S'ensuivent visites aux urgences, consultations chez divers spécialistes, examens de toutes sortes, recherche d'un diagnostic et du traitement adéquat, certificats médicaux qui s'enchaînent. La sensibilité aux bruits de Christophe porte un nom : l'hyperacousie. Et elle s'est accentuée après l'incident au Taekwondo. Pièces de monnaie qui s'entrechoquent, sonnerie de téléphone, alarme , discussion animée, cris d'enfants... mais aussi discussion entre plusieurs personnes, sonnerie de fin de récréation, brouhaha d'une classe, repas dans un réfectoire... sont devenus des épreuves insurmontables et extrêmement douloureuses... Un mal de tête s'installe et ne le quitte pas... Christophe n'a plus aucune concentration. Il ne veut plus voir personne... Il fuit les magasins. Il panique au moindre bruit qu'il ne peut identifier immédiatement... C'est comme si on avait appuyé sur le bouton Alarme dans son cerveau et qu'il restait enfoncé, sans aucune possibilité de désactiver cette touche. L'univers est devenu cauchemar pour Christophe.
Bien sûr, tout cela prend des mois. Mon fils est en complet décrochage scolaire, depuis la mi-septembre 2022. Au début, je vais chercher une copie de ses cours chaque semaine. Mais au bout de quelques semaines, je dois à mon tour déclarer forfait : je me casse la cheville...
Pour nous, un confinement s'installe. J'essaie de faire travailler Christophe, mais je n'y parviens plus. Son cerveau n'en veut plus et je n'ai plus d'énergie. La patience ne suffit plus. Je ne parviens plus à aider mon enfant. Je ne sais plus quoi faire. Je me sens impuissante, inutile... On me dit d'attendre. On me parle d'école dans un milieu hospitalier. C'est horrible ! On veut tenter le tout pour le tout et "forcer" Christophe à retourner à l'école, en janvier 2023. Je lui achète des bouchons d'oreilles : ceux que les festivaliers portent pour supporter le volume de la sonorisation. Christophe est en mode panique et moi aussi, je dois bien l'avouer...
Je demande alors une entrevue avec le centre PMS, rattaché à l'école. L'assistante sociale me dissuade de réintégrer Christophe dans ces conditions... Il court à la catastrophe. Elle me suggère alors de contacter un service d'accrochage scolaire (SAS) : il en existe justement un à Waremme. Ce type de centre pourra aider mon fils, en commençant par intégrer une petite classe, avec une petite structure d'encadrement, un peu comme une mini-école. Rentrée chez moi, Google m'informe que ce SAS n'est autre que Compas Format.
J'avais appris l'existence des antennes de Seraing et de Verviers, mais j'ignorais celle de Waremme... Quelle agréable surprise ! Un rendez-vous est rapidement pris. Christophe intègre le SAS de Waremme, mi-janvier 2023...
A Waremme (et ailleurs, à n'en pas douter), vous accueillez nos jeunes en toute bienveillance, mais sur base de leur engagement : un contrat est signé entre l'enfant, le parent et vous... le 1er contrat que signe l'enfant... Quelle responsabilité, aussi bien pour vous que pour nous ! C'est un geste fort !
En toute impartialité, vous écoutez ces jeunes en difficulté. Vous les entendez. Vous les regardez. Vous leur imposez un règlement : ils en ont besoin. Ils doivent respecter autrui, leurs camarades, le centre, l'équipement mis à leur disposition et... eux-mêmes. Vous leur faites passer des tests de connaissance, afin de savoir où ils en sont et où ils ont décroché. Vous ne les jugez pas, mais tenez compte de leur problématique individuellement. Vous vous adaptez à eux, comme ils s'adaptent à vos règles : un échange de bons procédés...
Bien sûr, il y a quelques incidents : Christophe doit apprendre à gérer sa colère , conséquence de son hyperacousie accentuée. Un enfant qui a mal peut en effet devenir violent dans ses propos, à la limite agressif... Il en est de même pour nous, les adultes. Vous lui donnez du temps pour s'adapter. Ses nouveaux camarades apprennent eux aussi à prendre en compte cette maladie. Le respect de l'autre. Jamais Christophe n'éprouve le besoin impérieux de mettre ses bouchons au centre d'accrochage. Jamais il ne s'y rend avec des pieds de plomb. Je retrouve peu à peu mon fils avec joie... Il me raconte ses demi-journées. Il me parle de ses nouveaux camarades. Il reprend son apprentissage. Il refait du sport... Peut mieux faire, mais c'est l'intention qui compte... Il découvre de nouvelles activités, comme les podcasts... Il fait des recherches sur internet et discute avec moi de sujets sérieux. Il épate même la galerie avec ses connaissances géographiques et des données historiques très précises. Oui, je retrouve mon fils avec une grande joie...
Les demi-jours font place à des journées complètes. Les mois défilent à toute allure. Bien sûr, il est suivi psychologiquement et du point de vue neurologique. Les spécialistes lui prodiguent des outils pour gérer la douleur et sa peur d'avoir mal. C'est bien plus efficace que n'importe quel traitement. Et en avril, Christophe retourne partiellement à l'école... une demi-journée... 2... une journée complète... 2... 3 jours complets... Compas Format le suit de près, de même que la direction de l'école et le centre PMS.
Nous sommes au mois de juin... quasi à la veille des examens de fin d'année... Ah oui, on ne dit plus examens, mais contrôles de synthèse... Ce mercredi 14/06/2023 sera son dernier demi-jour chez Compas... Le contrat est rempli... Tout le monde y a mis du sien. Il y aura des larmes , un serrement au cœur , mais pas d'adieu. Je sais d'avance que Christophe voudra maintenir le contact avec le SAS... avec vous, Javier, Christophe, Samuel... Il viendra vous voir pour donner ses résultats... Il perdra de vue ses camarades d'un temps... ou échangera des numéros de téléphone avec certains...
Je croyais son année perdue, mais n'en éprouvais aucun chagrin, aucune colère : parfois la vie nous joue des tours. Maintenant je me dis que Christophe n'a rien à perdre à passer ces contrôles. Il se remet à jour dans les cours principaux, avec l'aide des professeurs, des éducateurs et de la direction. Ses progrès sont félicités. Oh bien sûr, il porte ses bouchons durant toute sa journée à l'école et s'isole durant le temps de midi. Mais c'est passager : je sais que ce sera différent l'année prochaine. Il tente sa chance à des interrogations et s'en sort plutôt bien, vu les circonstances. Pas plus tard que ce mardi 13 juin, quand je le récupère à l'école, il me demande de deviner ses points à la dernière interrogation de français. Il y a 3 exercices. Il me demande de trouver la "pire" note et la meilleure sur un maximum de 10 points. Je démarre à 5... "Plus"... 6 ?... "Plus"... 7 ??... "Plus"... "8 ???????"... "Ouiiiiiiii"... "Et la meilleure ?"... Dis-moi... "9,5 !!!"... Waouuuuuhhhhh
Il m'avait déjà épaté à son examen d'éducation physique : après 2 cours de base-ball (sport inconnu pour lui), il obtient la note de 12/20. Et moi, très fière, je lui dis que je serai super contente s'il revient avec ces points dans tous les cours. Et le voilà qui me revient avec des points de primaires.
Christophe et moi vous disons MMMMMMMEEEEEEERRRRRCCCCIIIIIIIIII...
Merci Javier... Merci Christophe... Merci Samuel... Merci aux éducateurs et aux autres personnes qui s'occupent des jeunes à Waremme... Merci aux camarades partis, toujours là ou nouvellement arrivés. Merci COMPAS FORMAT. Merci de tout cœur... Vous réalisez des miracles tous les jours. Désormais, quand j'entends qu'il y a un élève en détresse, je parle de vous. Bonne continuation à tous !
Maman & Christophe